dimanche 29 décembre 2024

Michel del Castillo, romancier et bretteur

 C'est à 91 ans que Michel del Castillo s'est éteint le 17 décembre dernier, au bout d'une longue carrière couronnée, entre autres distinctions, par le Renaudot et le Fémina. C'est en 1957 que paraissait son premier roman, Tanguy, qui racontait la pauvre vie d'un enfant maltraité par l'Histoire et par son ascendance. Abandonné par son père à l'âge de deux ans, interné avec sa mère dans un camp de concentration pour républicains espagnols près de Mende, échangé par sa mère en échange de sa propre liberté, envoyé en camp de travail en Allemagne puis en rééducation dans l'Espagne franquiste, il vécut une enfance et une adolescence dramatiques.

De nombreux romans ont succédé à Tanguy, qui reprenaient la même histoire avec juste le changement d'angle nécessaire, et qui procuraient à chaque fois le même plaisir de lecture, grâce à un style impeccable, une lucidité courageuse, à l'absence de pathos dans une trame pourtant pathétique. Mais del Castillo c'était aussi des biographies et des essais, et le hasard a voulu que je relise ces jours-ci son admirable Droit d'auteur, paru en 2000 autour d'une polémique d'alors portant sur le prêt payant en bibliothèque.

Je n'évoquerai pas ici le fond du débat de l'époque, mais la forme de la riposte de Michel del Castillo contre le catéchisme démagogue d'une certaine caste et des professionnels de la compassion. Droit d'auteur est un vrai pamphlet, c'est-à-dire féroce et bien écrit, et pourtant argumenté avec objectivité. Le propos n'a rien de brutal mais le style à fleuret moucheté touche juste, avec une élégance cinglante qui est le propre d'un grand écrivain. Et c'est ainsi que Jean-Marie Laclavetine ou Daniel Pennac se retrouvent habillés pour l'hiver. Est également exécuté dans quelques pages jubilatoires un jeune "philosophe" d'extrême-gauche (nous sommes en 2000), un dénommé Michel Onfray...

C'est aussi pour cela que Michel del Castillo, sa sensibilité, son regard et son style nous manquerons désormais.

vendredi 20 décembre 2024

Pass-Culture, cet outil si français...

 Que l'enfer soit pavé de bonnes intentions, nul n'en disconviendra. Ainsi en va t-il du Pass-Culture, dont j'ai ici à maintes reprises souligné les errances (le dernier billet remontant à juillet 2023). C'est, une fois de plus, la Cour des comptes qui livre son avis sur ce machin qui coûtera en 2024 la somme de 244 millions d'euros, auxquels s'ajoute le coût du Pass-Culture "collectif", et qu'administrent près de 200 personnes.

Il ressort de l'étude que c'est le livre, puis le cinéma et la musique, qui ont le plus profité du dispositif, loin devant l'Art, les Musées ou le spectacle vivant. Pourquoi pas, si ce n'est que quand on dit Livre il s'agit à 75% de mangas, ou quand on dit Cinéma il s'agit essentiellement de blockbusters, et idem pour la musique. Le Pass-Culture apparait avant tout comme une méga subvention aux industries productrices et distributrices.

Le Pass-Culture est accessible à tous les jeunes sans conditions de revenus, ce qui déjà pourrait faire débat, et s'avère comme un effet d'aubaine. 84% des jeunes l'utilisent, d'où "l'intensification des pratiques culturelles déjà bien établies", pour reprendre les termes de la Cour des comptes. Et ceux qui ne l'utilisent pas sont précisément ceux à qui il était destiné, "les plus éloignés de la culture"... Et rien n'empêche de revendre ce que le Pass a permis d'avoir gratuitement, ajouteront les cyniques.

On va découvrir, pour la énième fois, que les distributeurs de billets profitent à ceux qui ont déjà une carte bancaire. Peut-être conviendrait-il plutôt de renforcer le volet "collectif", encadré par des enseignants, pour des pratiques plus accompagnées, plus exigeantes et moins commerciales ?

Pour faire en sorte que cet outil, sympathique et ambitieux, soit valorisé plus sérieusement.


vendredi 13 décembre 2024

Amnesty sélective ou Amnésie internationale ?

 Est-il encore possible dans ce pays de dire sereinement qu'un écrivain n'a rien à faire en prison du fait de ses écrits, sans se faire aussitôt taxer de complice dudit écrivain ? Je parle, on l'aura compris, de l'affaire Boualem Sansal, où l'indignation et les atermoiements sont toujours aussi sélectifs. Peux t-on revendiquer que l'instrumentalisation de l'écrivain par la droite ou l'extrême-droite, qu'elle soit ou non assumée par l'intéressé, ne fait pas pour autant de ses défenseurs face à la justice d'Etat algérienne des fascistes invétérés ?  En arriver là en dit long sur la déliquescence intellectuelle de notre temps.

Et pendant ce temps Amnesty International, qu'on a connu mieux inspirée, manie la litote. Les statues de la famille Assad en Syrie n'étaient pas encore tombées que l'ONG proclamait avec une réactivité des plus optimistes que "le peuple syrien a enfin une possibilité de vivre sans crainte et de voir ses droits respectés". Par contre, pour justifier sa tardive réaction face à l'incarcération et à la privation d'avocat français de Sansal (au même titre que ses consœurs Human Right Watch ou Open Society) et ses tergiversations sur le fonds, elle affirme vouloir "vérifier de manière indépendante les informations", alors même que celles-ci sont confirmées de manière officielle par l'Algérie...

Et oui, même Amnesty en est là. On l'avait connu plus respectable du temps de Soljenitsyne et de tant d'autres, quand on ne marchandait pas un soutien en fonction des opinions supposées de la victime.

On pourra lire un article intéressant à ce sujet sur le Canard Enchainé de cette semaine.

jeudi 28 novembre 2024

Lectures : Les intellectuels français et la guerre d'Espagne (PF Charpentier)

 Si le charme de l'horizon est de reculer au fur et à mesure que l'on avance, celui de l'actualité est de passer en même temps qu'on la découvre. C'est ainsi que l'Histoire se fabrique et qu'elle nous éclaire sur notre temps présent... et sur son actualité.

Au hasard de mes relectures, je parcours ces jours-ci Les intellectuels français et la guerre d'Espagne (Editions du Félin 2019), de l'universitaire toulousain Pierre-Frédéric Charpentier. Un pavé de 700 pages, qui n'échappe pas aux travers des historiens de sourcer en bas de page la moindre citation, ce qui alourdit souvent le propos. Cela étant, c'est un remarquable travail qui retrace l'activité de nos intellectuels pendant la guerre civile espagnole de 1936 à 1939. Le sous-titre du livre Une guerre civile par procuration mériterait à lui seul un débat, mais il témoigne de l'importance de ce que fut cet évènement chez les écrivains, les journalistes voire les artistes durant la période. On a  retenu les plus célèbres, Malraux, Chamson, R. Rolland... à gauche, Claudel, Drieu, Farrère, Brasillach... à droite, sans oublier ceux qui portèrent haut l'honnêteté intellectuelle, comme Bernanos, Mauriac ou Simone Weil. Mais derrière ceux-là il y avait une armée de journalistes et d'auteurs qui écrivirent sur le drame, chaque camp étant traversé par des contradictions ou des divisions qui annonçaient les crises à venir : fractures internes à  gauche entre pacifistes et interventionnistes, entre communistes staliniens et révolutionnaires, divergences radicales à droite entre chrétiens progressistes et conservateurs. La presse d'alors se donnait les moyens de sa mission.

Le résultat est est que l'on était loin de l'univers de nos actuels plateaux de télévision où  se pressent les commentateurs du moment. Certes l'image a remplacé l'écrit, et l'instantané ne laisse plus la place à la moindre analyse structurée, mais où est passée l'ambition ? Les drames d'antan n'étaient pas plus beaux que ceux d'aujourd'hui, mais la pensée des hommes avait davantage d'intégrité ou moins de cynisme.

lundi 25 novembre 2024

Et maintenant Boualem Sansal...

 Après Kamel Daoud, c'est à Boualem Sansal que s'attaque le régime algérien. Contre le Prix Goncourt, c'est une campagne de presse (voir billet précédent). Contre Sansal, c'est l'arrestation pure et simple, désormais officielle. Dans les deux cas, la plus élémentaire défense de la liberté d'expression appelle à s'insurger.

Il n'est pas surprenant que la droite ait été la première à "sortir" la nouvelle de l'arrestation et à voler au secours de l'écrivain : elle s'est largement servi de celui-ci, qui critiquait à la fois le régime algérien militaro-totalitaire et l'islamisme, deux entités complexes et étroitement liées depuis plusieurs décennies.

Plus regrettable, du moins à mes yeux, le relatif silence de la presse "de gauche", qui a relégué l'info dans les entrefilets, voire l'a complètement ignoré, en usant et abusant encore du conditionnel. Or la gauche, si elle a un peu de mémoire, devrait bien connaitre le fonctionnement des régimes militaires totalitaires, dont elle a souvent souffert. Au lieu de quoi (et soucieuse de ménager qui ?) elle regarde à côté...

Je me souviens de Soljenitsyne, quand dans les années 70 la gauche -hormis l'appareil du PCF- avait volé au secours de l'opposant russe, même si ses prises de position n'allaient pas dans son sens. Cinquante ans plus tard, et quelles que soient les idées de Sansal que je connais mal, la même exigence me parait s'imposer pour défendre les libertés des écrivains et des artistes. Et tout ce qu'on trouverait à dire c'est qu'il ne faut pas faire le jeu de l'extrême-droite ?

Misère de misère...

mardi 19 novembre 2024

Kamel Daoud en notre monde

 Je n'avais jamais cru que Kamel Daoud puisse décrocher le Prix Goncourt : ni le livre (Houris, Gallimard) ni l'auteur ne me paraissaient assez consensuels pour cela, selon les normes morales et commerciales germanopratines. Mais je n'ai jamais été un bon pronostiqueur et, subtilité des négociations éditoriales ou évolution du paradigme moraliste, l'auteur franco-algérien a gagné le pompon. L'interdiction du livre en Algérie ou celle faite à la présence de Gallimard au salon du Livre d'Alger n'avaient pas freiné le succès, voire l'avaient promu.

Sauf que depuis lors une machine s'est mise en route. Rappelons que le thème du livre relate l'histoire d'une rescapée d'un massacre durant la guerre civile des années 90. Et voilà que Saâda Arbane, elle-même survivante d'un carnage à cette époque, se reconnait dans l'héroïne de Daoud. Comme elle a été la patiente de Mme Daoud, psychiatre de son état, elle en déduit que l'auteur a exploité son histoire et crie à la monstruosité. C'est faire peu de cas de l'intégrité professionnelle de Mme Daoud, et Gallimard rétorque que l'intrigue et les personnages sont fictionnels.

Je ne me prononcerai pas sur le fond. Je peux comprendre le cri de douleur de Mme Arbane, s'il est sincère et spontané. A l'inverse, l'imaginaire de l'auteur -et sa liberté- s'alimente d'une multitude de détails ouïs ici ou là, parfois inconsciemment, et malheureusement Saâda Arbane n'a pas été la seule victime de ces années noires.

Ce qui m'inquiète aujourd'hui tient dans la cristallisation du débat suscité. Bien sûr, un écrivain "franco-algérien" critique vis-à-vis du pouvoir d'Alger a les faveurs de certains milieux qui ont le vent en poupe, et le soutiennent sans d'ailleurs avoir lu le livre. Mais la mécanique qui s'est mise en branle en Algérie contre Daoud, à partir de la presse pro-gouvernementale, fait froid dans le dos. Il n'est pas chez nous un site littéraire, généralement plus confidentiels, où ne fleurissent sous des pseudos féminins et arabisants un flot d'attaques outrancières. On aurait pu trouver un intérêt et une nostalgie à renouer avec les grandes polémiques d'antan. Là, manifestement, on pense moins à la bataille d'Hernani qu'à Salman Rushdie.

mercredi 30 octobre 2024

Notre-Dame de la finance

 C'est un débat très français qui agite depuis quelques jours le landerneau des sacristies, de la culture et des finances publiques : faut-il faire payer la visite de Notre-Dame de Paris, dont la restauration touche à sa fin ? La cible : les douze millions de touristes qui s'y rendent chaque année.

Deux écoles s'affrontent, depuis que la ministre de la Culture Rachida Dati a émis l'hypothèse, pour des raisons d'ailleurs plus électorales (Mairie de Paris) que culturelles ou financières. La première considère que Notre-Dame se doit, comme tous les lieux de culte, de demeurer gratuite, d'autant qu'elle appartient selon eux au patrimoine spirituel de l'humanité et que sa restauration a été financée par des dons dont beaucoup venaient d'un peu partout dans le monde.

La deuxième école considère, quant à elle, qu'on pourrait faire payer cette visite (en ayant auparavant changé la loi, et en distinguant fidèles et touristes), comme cela se fait beaucoup à l'étranger, et qu'avec ces recettes on pourrait entretenir, rénover et rouvrir beaucoup d'églises en France, qui souvent en ont bien besoin.

Chacun se fera son idée ; en fait le fond du problème est de savoir si l'on considère Notre-Dame comme un patrimoine spirituel, ou comme un bien matériel exploitable, coûteux mais source de profit dans notre civilisation de loisirs. C'est finalement un problème très contemporain...

lundi 21 octobre 2024

Lectures : Parmi d'autres solitudes, d'Yves Harté

 L'idée initiale de ce livre n'est pas une franche nouveauté : un fils revient à la demeure de son père décédé pour classer des affaires et mettre ne vente la maison. Mais, au hasard du tri, il retrouve ses propres écrits de jeunesse -des portraits de "solitudes"- que, à sa surprise, son père avait pieusement conservés. Au fil des re-lectures de ceux-ci, il renoue avec sa jeunesse et un père dont il s'était éloigné.

Le livre d'Yves Harté, Parmi d'autres solitudes (Le Cherche-midi), est pour une part une série de portraits d'écorchés de la vie, portraits empreints d'une belle humanité : en nos temps où il est de bon ton d'invoquer cette idée d'humanité à tout propos (vivre ensemble, migrants, inclusivités diverses...), la plume de Harté écrit ce que j'ai pu lire de mieux depuis bien longtemps. Récits lumineux et poignants, sens de la réalité des petits, des sans-grade et des malheureux, confrontés à ce que la vie peut offrir comme saloperies. Pas de pathos mais de la générosité et de l'empathie, de la chair et du coeur... Un hymne à la vie, comme on dit.

Le livre retrace aussi la quête d'un fils qui redécouvre son père, d'un provincial qui retrouve les attaches avec le monde rural (le fond des Landes) qui l'a vu grandir. Un ouvrage qui sort un peu de la production littéraire de cette rentrée.

lundi 14 octobre 2024

Lisez Patrimoni n°110 !

 La revue Patrimoni (avec un accent sur le o occitan que mon clavier ne peut reproduire ici) est le "Journal du patrimoine de l'Aveyron et de ses voisins". Ce trimestiel, cofondé et dirigé par Bernard Verdié (8.50 E le n°), est présent chez tous les marchands de journaux de l'Aveyron et dans nombre de lieux culturels ; sinon on peut s'abonner (39 euros) à Patrimoni 2 rue Lassis 12430 Alrance...

On y traite régulièrement d'une dizaine de sujets, avec des articles de très bon niveau scientifique ou culturel, touchant au patrimoine local : ainsi pour ce numéro 110 il est question, parmi d'autres articles, de champignons, des " Objets, pratiques et imaginaires des Grands Causses", des "Poids et mesures en Rouergue sous l'Ancien Régime", de la rivière Tarn,  et, accessoirement, de l'époque "Quand le Rouergue abritait la Joconde", signé par votre serviteur. La revue fait aussi la part belle à la langue et à la culture d'Oc.

C'est donc une jolie petite revue, sur papier glacé avec beaucoup de photos, très agréable à lire et très instructive, qui démontre une fois encore qu'un petit territoire, géographiquement parlant, peut être d'une grande richesse historique, scientifique et... humaine.

Je ne saurais donc trop vous conseiller de la découvrir.

vendredi 11 octobre 2024

Rien à dire, mais le faire savoir...

 Lorsque, au hasard de la lecture d'un de ces multiples médias de proximité comme notre époque en compte tant, on découvre qu'un proche village va organiser son premier Festival du Livre, on ne peut qu'être intéressé. Et puis en achevant cette lecture, on se dit que le pire est finalement toujours sûr.

Je m'explique. Sur la photo qui accompagne l'article, une demi-douzaine de suffragettes prennent une pose résolument "moderne" : en équilibre sur un pied, bras tendus en diagonale,tête renversée... Plutôt ridicule, mais pas grave. Arrive ensuite la présentation de la manifestation. D'une part, si ce festival est le premier du nom, il inclut un Salon du livre qui, lui, en est à sa troisième édition ; mais "salon du livre" fait désormais trop pauvre pour qu'on n'y ajoute pas une couche socio-culturelle qui en fasse un vrai Festival avec une majuscule. Et donc ce festival entend "mettre les femmes à l'honneur". Bigre, c'est original. D'ailleurs, la soirée d'inauguration s'intitulera "A fleurs d'elles" (???), avec des lectures sur "la femme sous toutes ses facettes, dans tous ses états d'âme". Mais où vont-elles chercher tout ça ?

L'invitée d'honneur sera une autrice (auteure ? je ne sais plus) locale auto-éditée, avec ses inoubliables titres "Pour mourir il faut être vivant" ou "J'écris pour que tu m'écoutes", roman "inspirant" (?). Il y aura en sus une "Dictée de Pivot" (je le croyais mort), pour un moment "intergénérationnel", avant que ce grand moment de culture ne s'achève en apothéose comme "une chanson de Grand Corps malade"...

Waouh.

Je crains que le rédacteur de l'article, lui-même peu inspiré et pas très original, n'ait rajouté à la caricature du machin. Mais quand même. Je ne sais plus quel humoriste affirmait que le monde est plein de gens qui n'ont rien à dire mais tiennent absolument à le faire savoir. Et, désolé pour toutes ces suffragettes probablement insoumises, la "littérature "feel good" est un parfait soutien du néolibéralisme. D'autre part, la cause des femmes dans notre monde mérite mieux que des jeux de mots douteux ou qu'une agitation narcissique teinté de bovarysme provincial. Pour le reste, c'est surtout un inénarrable festival de clichés qui nous est servi, et s'il  existe une culture en milieu rural elle peut faire mieux que ce type de postures pour ménagères de tous âges.

lundi 30 septembre 2024

Les librairies, l'emploi et la marche inexorable du temps

 J'avais évoqué dans mon billet du 17 juin dernier le sort des libraires et fustigé la com qui pèse autour des métiers du livre depuis quelques années. Or voilà que pas plus tard qu'hier l'actualité donne du grain à moudre à mon moulin, à travers deux infos aussi banales que révélatrices.

A la mi-journée, je tombe sur un reportage télévisé de France 3 relatant l'ouverture d'une librairie à Toulouse. Le reportage s'enthousiasme de cette bonne nouvelle, omettant d'évoquer le sort de celles qui dans le même temps baissent le rideau. Quant à la libraire ("Vingt ans de métier", quand même) elle tient des propos amphigouriques que seuls des gens rôdés à la communication littéraire peuvent faire semblant de comprendre, et qui sont lunaires pour tout commerçant un peu pragmatique. Le journaliste, lui, conclut en rappelant que malgré tout le marché du livre se casse la figure.

Dans l'après-midi, et sur le site d'Actualitté.com, on apprend que le groupe Nosoli (Furet du Nord, Decittre, Chapitre.com, ...) va licencier 80 salariés sur les 650 qu'il emploie, parce que certaines de ses boutiques n'en peuvent plus : hausse des charges, baisse des ventes, etc... ont eu raison des grandes envolées lyriques et covidesques sur le "métier essentiel". Le groupe prévoie, classiquement, une mutualisation des moyens et une homogénéisation des pratiques, ce à quoi les syndicats répondent qu'il  aurait fallu le faire plus tôt (nul doute qu'alors ils eussent applaudi), et que l'Etat doit "prendre ses responsabilités" pour sauver ce produit culturel qu'est le livre. C'est-à-dire cracher au bassinet. Bref, la banalité économique de ce pays.

Il se trouvera encore beaucoup de professionnels de la profession pour claironner que les métiers de la distribution du livre sont bien vivants, libraires compris, et que toute ouverture de boutique annonce des temps radieux, surtout dans une zone rurale dépeuplée où une demi-douzaine de néo-ruraux fait office de clientèle potentielle. En clair, plus un projet est voué à foirer, plus il est signifiant d'un besoin de culture. Cet enfumage institutionnel fait sans doute le bonheur des communicants, mais surtout masque l'incurie des instances officielles qui peuvent se prévaloir d'une utilité qui justifie leurs postes, ainsi protégés de toute réforme.

Mais au bout du compte, le réel reste fidèle à lui-même. Et c'est loin des lumières que les rideaux se baissent.

mardi 24 septembre 2024

Jean Piat, les Rois maudits, la télé

 Ce 23 septembre on aurait fêté les 100 ans de Jean Piat, s'il n'avait eu la funeste idée de nous quitter voilà sept ans. Ce nom ne dit sans doute rien aux moins de cinquante ans, pourtant ce fût l'un des comédiens français les plus talentueux de son époque, des années 60 jusqu'à la fin de sa vie, des plus talentueux et des plus populaires.

Loin des grands écrans, il consacra sa carrière au théâtre. Il fût notamment le grand Robert d'Artois des Rois maudits, en 1972. Un rôle d'exception, tonitruant, un mix de Depardieu et de Delon. Mais c'est cette série (6 épisodes) des Rois maudits qui restera un monument de la télévision française, quand elle se voulait à la fois populaire et culturelle, prestigieuse et de qualité. La réalisation était de Claude Barma, les dialogues de Marcel Jullian, et c'était du grand art. La série tournait le dos à la flamboyance des films de cape et d'épée pour s'attacher aux intrigues, aux éclairages, aux dialogues, bref faire du théâtre filmé. Et ce théâtre se révélait palpitant, sensible, sensuel et intelligent. Le temps d'une télévision que l'argent et le narcissisme n'avaient pas encore phagocité.

Il y eût bien un remake des Rois maudits, en 2005, sous la férule de Josée Dayan. Malgré une belle distribution, on pût mesurer, de façon caricaturale, ce qu'était devenue la télévision française. Et, le vice rendant hommage à la vertu, on repensa avec nostalgie aux Rois maudits de Barma, Jullian et Jean Piat.

mercredi 11 septembre 2024

De Céline à Joann Sfar, en attendant le Voyage

 Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Voilà  quelques jours, Gallimard a cédé les droits du Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline à Joann Sfar, dans le but d'une adaptation cinématographique. Est-ce que ce sera une étape supplémentaire du Céline-business enclenché depuis le décès de Lucette Destouches en 2019, ou bien le début d'une adaptation à l'écran fantasmée depuis si longtemps ? Nous verrons bien, mais le fait est que depuis la parution du roman en 1932, tous les cinéastes de talent rêvent de ce film mais qu'aucun n'a réussi à relever le défi...

Si la perplexité reste encore de mise, c'est moins la faute à Joann Sfar, qui a du talent, qu'à la complexité de l'oeuvre romanesque. Un bon scénariste parviendra peut-être à extraire du roman un pitch intéressant et à  circonvenir le fameux personnage de Bardamu. Mais quid du style célinien (qui ne se résume pas aux points de suspension), style qui participe pour beaucoup à la magie du livre, et quid du fantôme de Céline qui porte l'ensemble ?

L'avenir nous dira si le projet se concrétise, ce qui de l'avis de Sfar lui-même prendra du temps, et si le résultat est probant. Mais pour l'heure il me semble que tout cela relève encore du serpent de mer.

mardi 3 septembre 2024

Philippe Meyer : feue la conversation...

 C'est dans sa série estivale "La vie sans écran" que le Figaro du 24 août dernier publiait une interview de Philippe Meyer, notamment en sa qualité d'animateur du "Nouvel esprit public", podcast qu'il a fait succéder à son Esprit public dont France Culture l'a écarté en 2017. Il défend dans cet entretien la notion de "conversation", par opposition à ce qu'est devenu le "débat" d'aujourd'hui. Il rappelle à propos comment les débats tant désirés dans les années 60, parce que rares, ont peu à peu dérivé vers ces combats de coq où les postures adoptées par les débatteurs n'ont rien de personnel, mais expriment quelque chose qu'ils estiment devoir exprimer pour satisfaire un besoin d'appartenance ou pour plaire, par narcissisme ou par intérêt. Et de ce fait on peut aisément prédire ce qui va être dit, pour peu qu'on ait déjà entendu le débatteur et qu'on ait saisi les éléments de langage sous-jacents. Et l'organisation de l'information génère une hystérisation qui elle-même énerve le corps social et pousse à exagérer ses propres opinions plutôt qu'à écouter celles d'autrui.

La qualité de la conversation selon Meyer est "que le caractère raisonnable, amical et préparé des échanges ait une utilité collective pour alimenter la réflexion de ceux qui écoutent". On comprend par là qu'elle ne soit plus dans l'air du temps. Et Meyer de rappeler que sa génération -disons soixante-huitarde pour faire simple- rêvait de pouvoir poser toutes les questions, et qu'aujourd'hui il est beaucoup de questions qu'on n'ose plus poser, par crainte d'être soi-même trop éloigné de la pensée dominante ou d'être au contraire trop conforme à celle-ci... L'hystérisation produit la fracture, et l'échange des idées ne s'en remet pas.

Philippe Meyer, compagnon de la deuxième gauche et d'un centrisme éclairé, montre comment les impératifs de la communication et les impasses des politiques nous ont mené là où nous en sommes, quand l'injonction et la mauvaise foi sclérosent toute initiative d'échange constructif. J'ai, pour ma part et ici-même, assez vanté l'intérêt du pamphlet, un genre qui, jusque dans ses outrances adolescentes, permet de caractériser une idée ou une position, de façon excessive et donc appelant in fine comme solution pragmatique une résolution équilibrée qui génère le meilleur ou le moins mauvais possible. L'exutoire du pamphlet ne fait que préparer l'avènement du bon sens, et le vrai débat est le second oeuvre de la confrontation constructive.

Philippe Meyer cite dans son interview le phrase de Jean-François Revel "L'idéologie c'est ce qui pense à votre place". Même si les idéologies se sont effondrées, il reste encore et plus que jamais la com, les slogans et les postures. Mais espérons encore de la conversation...

samedi 24 août 2024

Lectures : Le Banc des vieux cons, de Mario Pimiento

 Le livre est paru ce 22 août (aux éditions Au diable vauvert), autant dire qu'il s'agit d'une critique à chaud. Certes l'ouvrage n'est pas épais (110 pages 165x110) et il se lit très vite, mais je l'attendais avec impatience, au vu de quelques avis issus des service de presse. Ces critiques étaient très bonnes, en tout cas meilleures que ces "Histoires truculentes et anecdotes, des brèves du sud pleines de saveur" qu'évoque la 4ème de couv.

L'impatience expose au risque d'être déçu, mais ce n'est pas ici le cas. Le thème du livre : trois "vieux cons", comme ils se nomment eux-mêmes, se retrouvent régulièrement sur leur banc public, et commentent la vie qui va, dans leur village ou leur quartier. L'occasion de refaire le monde, ou plutôt de se souvenir du leur. Mais, contrairement à ce que j'espérais, rien de profond et les quelques semi-digressions sont un peu trop politiquement correctes pour ne pas avoir un air convenu. Mais l'écriture est pleine d'humour et d'allant, de burlesque et de générosité, et emplie d'une culture du sud. Cette saveur doit beaucoup aux nombreuses références à la langue d'oc, qui n'est pourtant jamais mentionnée en tant que telle. Je ne crois pas que cette omission soit le fait de l'auteur, est-ce celui de l'éditeur ? ou d'un souci de marketing contemporain qui ne veut pas trop d'identité et préfère de façon un peu condescendante un folklorisme provincial à une culture volontiers indépendante ? Je l'ignore, mais c'est dommage.

Une fois ces regrets émis, il reste toutefois l'essentiel : derrière un titre génial, l'écriture de Pimiento et la culture dans laquelle elle baigne, celle du Grau du Roi et d'une Camargue sudiste où la langue (celle d'oc) persiste et signe. Et à ce titre, et plutôt qu'à une pauvre référence aux Vieux fourneaux que j'ai pu lire ici ou là, je serais cette fois en accord avec une autre mention de la quatrième de couverture, celle qui célèbre un "bijou d'écriture populaire"...

mercredi 21 août 2024

Alexandre Vialatte, depuis la plus haute éternité.

 On peut trouver -ou non- un intérêt aux Jeux Olympiques, à la mort d'Alain Delon ou au sourire américain de Kamala Harris. Pour ma part, j'ai profité de la vacance estivale pour relire "Eloge du homard et autres insectes utiles" d'Alexandre Vialatte. Si certains des romans de celui-ci, souvent posthumes, peuvent être déroutants du fait de leur esprit "décalé", ses chroniques hebdomadaires dans La Montagne demeurent une merveille, et l'Eloge du homard en est un recueil.

L'esprit de Vialatte (1901-1971) ne se décrit pas, il ne peut que se lire. Le sens du loufoque, du second degré, de la plus haute Antiquité, du non sense en fait un art à part entière. On pourrait croire que ces chroniques seraient trop "datées" des années 50 et 60 ; si elles en sont datées, c'est par l'écriture, le style, l'érudition, les références classiques, bref par la culture telle qu'elle rayonnait dans la littérature de l'époque. Mais j'ai retrouvé à sa lecture combien le propos est intemporel dans une certaine lecture de la société. Quand il applique l'absurde à l'analyse de la société - ou l'analyse à l'absurde de la société ?- ses traits font mouche aujourd'hui encore plus qu'hier. La satire des années 60 vaut encore pour notre XXIème siècle aussi foutraque que triomphant...

Ah si, une chose a changé, c'est qu'aujourd'hui certains écrits lui vaudraient un procès toutes les trois lignes.

Et c'est ainsi qu'Allah reste grand.

mardi 13 août 2024

Déjà parus...

 Au coeur de l'été, un petit rappel de mes publications...

     . L'âme des chemins creux, mémoires d'un sud, Elytis 2021

     . Les Saints des derniers jours, l'Harmattan 2018

     . Le répountchou qu'es aquo ? Vent Terral 2017 (avec AM Rantet-Poux)

     . Mona Lisa ou la clé des champs, l'Harmattan 2014

     . Passeport pour le Pays de cocagne, Elytis 2012 (avec AM Rantet-Poux)

     . Aveyron Croatie, la nuit, l'Harmattan 2011

     . Histoires peu ordinaires à Toulouse, Elytis 2007

     . Histoires peu ordinaires au Cap-Ferret, Elytis 2006 (avec Ch. Oyarbide)

     . Week-end à Schizoland, Elytis 2005

     . La Branloire pérenne, Elytis 2002

En vente dans toutes les librairies, chez l'éditeur ou chez l'auteur. Et en e-book pour les titres parus chez l'Harmattan...

samedi 3 août 2024

Souvenirs littéro-culinaires...

 Un petit coup d'oeil rétrospectif... en 2017 :

               https://youtu.be/RowNNdRnYSs?si=D48lolXC5_Okh0Ic

jeudi 25 juillet 2024

Culture et ruralité, un oxymore contemporain ?

 Le Ministère de la Culture s'est trouvé en 2024 un nouveau thème de communication, cette fois en direction de la ruralité, via son Printemps de la Ruralité. Avec une grande concertation nationale (25 000 participants, nous disent les chiffres officiels) pour "renforcer la place de la culture au sein des territoires ruraux", à travers "une vision globale pour la redynamisation des territoires ruraux", afin que "se réinvente dans les campagnes un service public de la culture". Derrière ces propos qui fleurent bon nos administrations parisiennes, il conviendrait tout d'abord de définir ce qu'est la ruralité (33 % des français selon l'INSEE, 18.5 % selon l'INED...) voire ce qu'est la culture. Et ensuite de faire attention aux bonnes intentions qui pavent l'enfer.

La politique publique a comme ambition d'une part de renforcer l'offre en direction de nos campagnes, et d'autre part de soutenir l'expression d'une culture issue de la ruralité. Que les manifestations culturelles existantes délaissent la campagne, que la culture y soit reléguée au second plan, voire marginalisée, nul n'en disconviendra. Mais notre ruralité est-elle ce "désert culturel" que les citadins trompettent un peu partout ? Bien sûr que non : on y trouve des artistes, des troupes de théâtre, des créateurs, des comédiens, des auteurs, etc... qui font vivre ou revivre la création et le patrimoine, la tradition et la modernité.

Le véritable problème est ailleurs : voilà déjà quelque temps qu'une certaine intelligentia parisienne et jacobine, de gauche mais pas que, a décrété que la culture se  devait d'être avant-gardiste et que ce qui émanait de nos campagnes était trop enraciné, pas assez mondialisé, pas assez coloré, pas assez métissé, pas assez déconstruit. Dès lors l'avenir s'annonce moins radieux que ne le proclament nos DRAC. Car le renforcement de l'offre -amener en ruralité les formes habituelles de la culture qui sévit en milieu urbain- risque fort de n'être qu'une vulgarisation de plus et une étape supplémentaire de la grande colonisation centralisatrice que nous connaissons depuis si longtemps. Le phénomène des néo-ruraux a déjà largement illustré le problème, qui après avoir quitté la ville s'empressent d'installer à la campagne ce qu'ils viennent de fuir, et qui s'autoproclament volontiers cultureux en mission dans le déjà évoqué désert culturel des culs-terreux.

Je crains donc qu'un renforcement institutionnel du phénomène ne soit largement contre-productif pour l'expression d'une véritable culture issue de la ruralité. J'entends déjà les bonnes âmes qui entendront me rassurer. Et justement, dans ce pays qui entend ressembler de plus en plus à sa caricature, c'est ce qui me fait peur.

jeudi 18 juillet 2024

Benoit Duteurtre, bien trop tôt...

 Il était romancier, essayiste, critique d'art, musicologue... On le connaissait aussi pour sa chronique hebdomadaire sur France-Musique, son commentaire du Concert du Nouvel An, ses articles dans Marianne, le Figaro ou ailleurs. Ce descendant de bonne famille (celle de René Coty) un peu dandy, beaucoup mondain aurait du finir à l'Académie française, mais celle-ci lui ferma ses portes par deux fois. Et puis en cette mi-juillet 2024, à 64 ans, il nous a quitté : le coeur avait ses raisons.

Quel que soit le thème de ses écrits, on pouvait ne pas être d'accord avec lui, et cela m'arrivait assez souvent. Mais toujours on pouvait goûter le ton Duteurtre, et son élégance de chaque instant, une étonnante alchimie de nostalgie, d'humour, d'ironie, où l'érudition et l'insolence frappaient juste. Souvent corrosif, parfois cruel, peut-être injuste mais toujours élégant, ce bretteur aux allures de dandy détaché (la marque des gros travailleurs) donnait à ses écrits une altitude et une saveur qui emportait l'adhésion ou a minima incitait au débat.

Etait-ce ce que l'on appelle "l'esprit français" ? Je ne sais pas; toujours est-il qu'en nos temps si modernes où l'Assemblée nationale ressemble souvent à une récréation d'ados mal élevés, où écrire la liste des commissions en y glissant quelques slogans politiques peut vous valoir le Nobel, lire ou écouter Benoit Duteurtre était un moment de grâce. Fugit tempus, disions-nous...

jeudi 4 juillet 2024

Années 30

 S'il est une période de l'histoire à laquelle il est de bon ton de se référer à tout propos, c'est bien les années 30. Malheureusement ceux qui le font semblent n'en avoir pour vision qu'un cliché un peu sommaire. Pour avoir commis trois ouvrages dont l'ancrage historique se situe dans ladite période (Aveyron Croatie, la nuit ; Mona Lisa ou la clé des champs ; Les Saints des derniers jours, tous trois chez l'Harmattan) je considère pour ma part que ces années furent exceptionnelles, pour le meilleur et pour le pire.

Ainsi le 21 juin 1935 s'ouvrit à la Mutualité le 1er Congrès des Ecrivains pour la défense de la culture. Rien d'historique me direz-vous, si ce n'est qu'il y avait là André Gide, André Malraux, Berthold Brecht, Heinrich Mann, Robert Musil, Aldous Huxley, Boris Pasternak, HG Wells, Paul Nizan, Tristan Tzara, André Chamson, Jean Guéhenno, André Breton, et bien d'autres ; Maxime Gorki et Romain Rolland étaient excusés. Non loin de là s'exhalait le soutien d'Aragon, Saint-Exupéry, Eluard, Desnos, Maïakovski, Max Ernst, Prévert, Garcia Lorca, et tant d'autres pour lesquels l'histoire a été peut-être injuste.

Et tout cela avant même que n'arrivent à Paris les intellectuels chassés de leurs pays, qui viendront d'Allemagne, d'Italie, d'Espagne, de Russie.

L'intitulé du congrès suffit à expliquer l'enjeu qui planait sur l'occident en ces années de feu. Ce qui est remarquable c'est qu'à l'exception de quelques grands noms "de droite", l'essentiel de la littérature française et européenne de l'époque est là. L'intelligence se mobilise, dans un contexte vert-de-gris, pour sauver la culture. Et pour combattre le fascisme.

Mais je me demande bien pourquoi j'écris tout ça aujourd'hui...

jeudi 27 juin 2024

Badinter, les profs, les soldes

 Le collège de Saint-Etienne de Cuines (Savoie) était le seul établissement scolaire du département à ne pas avoir de nom, aussi le Conseil départemental a-t-il proposé de lui donner celui de Robert Badinter, récemment disparu, attendu que l'ancien ministre de la Justice s'était réfugié non loin de là, en 1943.

Crise chez les profs dudit établissement. Non pas quelques profs, mais bien la "communauté éducative", qui réfute le nom de Badinter et préfèrerait une référence à "l'environnement naturel" du lieu. Motif invoqué pour rejeter le nom de Badinter : ce serait un nom "peu évocateur". A l'heure où se multiplient sur les frontons des noms plus ou moins fantaisistes, celui de l'homme qui abolit la peine de mort dans ce pays ne saurait plus évoquer quoi que ce soit... et surtout serait susceptible d'être confondu avec le supermarché voisin. Badintermarché, en quelque sorte.

Est-il permis de dire à ces enseignants que soit ils se foutent du monde en présentant leurs élèves comme de sombres crétins, soit il  leur appartient d'expliquer à ceux-ci qui était l'homme et quelle fut son oeuvre. On peut aussi ne pas être trop naïf et se demander si ce rejet, masqué sans pudeur derrière le mépris des élèves, n'est pas plutôt lié à la judéité de l'intéressé : nos temps obscurs s'assombrissent davantage de jour en jour. Quoi qu'il en soit, la "communauté éducative" du collège de Saint-Etienne de Cuines ne m'inspire pas outre mesure ce qu'il est convenu d'appeler le respect.

lundi 17 juin 2024

Les libraires, entre contraintes et déraison...

 On connait les contraintes des libraires, dans un monde de plus en plus impitoyable pour les commerces indépendants et de moins en moins réceptif au livre de manière générale et  à la littérature en particulier. Il était pourtant de bon ton, il y a peu, de claironner l'ouverture de petites librairies de proximité (+ 9% depuis 2018), en oubliant ou en faisant semblant d'oublier que "l'âge d'or du Covid" relevait d'une économie artificielle, quand l'Etat suppléait le client. Alors, inévitablement, le retour du réel est douloureux, voire sanglant. Entre baisse des ventes et hausse des charges, l'effet ciseaux condamne les librairies, surtout les plus petites.

Les projections 2024-2025 du cabinet Xerfi, partenaire du Syndicat de la Librairie Française, sont lourdes de menaces : il faudrait, pour maintenir à flot les échoppes, une hausse des ventes de 5.3% pour les grandes librairies, 5.6% pour les moyennes et 8.2% pour les petites ! Autant dire que personne dans la profession n'y croit, et qu'on parle bien de la disparition pure et simple de nombreux commerces. Fatalement, comme dans toute période de crise, on assiste à un concours Lépine des solutions ; la dernière en date émane du SLF et demande aux éditeurs de produire moins ; on sait que les libraires n'ont pas la place pour promouvoir beaucoup de livres, et en plus ils s'inquiétent pour la planète (axe de com indispensable de nos jours) et réclament donc une "trêve des nouveautés"...

On a beau connaitre les ressorts des corporatismes, et savoir l'immaturité qui pèse souvent sur cette profession, on reste pantois devant le propos. Croire qu'on pourra revivifier le métier et son chiffre d'affaires en planifiant la production relève d'une croyance dans les vertus d'une économie soviétique. Penser que freiner la création en l'encadrant relancera la qualité de celle-ci me parait hélas assez hypothétique, sinon odieux. Le beau métier de libraire est devenu très difficile, les bons y réussissent, les autres viennent, sombrent et revendent. Il faudra encore plus de travail, de capitaux et d'innovations, face à un univers qui n'en fera pas le fameux "commerce essentiel" tant prisé voilà quelques années. On peut comprendre que les professionnels s'essoufflent et qu'il faille les soutenir, mais de grâce que leurs organisations ne disent pas n'importe quoi...

jeudi 6 juin 2024

De Ben à Plus belle la vie...

 C'est à 88 ans que Ben a choisi de partir, ne pouvant survivre au décès brutal de sa femme quelques heures plus tôt. Cette figure de l'Ecole de Nice (César, Arman...) était un artiste post-moderne pour qui tout était art, et l'art devait provoquer un choc. On connait surtout ses sculptures vivantes et ses "écritures", largement promues par des produits dérivés qui ont amusé nos enfants. Son minimalisme accompagnait une recherche et une création exigeantes. On sait moins qu'il a été un des premiers adhérents du Partit Nacionalista Occitan de François Fontan, fondé à Nice en 1959. Si le PNO est resté marginal, Ben a souvent aidé des mouvements régionalistes, comme le Parti Occitan et la fédération Régions et Peuples solidaires. Naturellement, les rares media parisiens qui évoquent cet engagement parlent de "multiculturalisme"...

Cela n'a rien à voir, sinon la concomittance des évènements, mais Radio France a un nouveau PDG : c'est Vincent Meslet, un professionnel qui a du vécu, déjà passé par la Direction des programmes de France Television, où son principal titre de gloire avait été de lancer la série Plus belle la vie. Et depuis 2021, il  était Directeur général de Newen (groupe TF1), société productrice notamment de... Plus belle la vie. Radio France a un nouveau chef, la culture est en marche, l'avenir est radieux.

jeudi 30 mai 2024

Lectures : La vraie vie de bohème, de Jacques Lambert

 Le titre complet du livre, De Montmartre à Montparnasse, la vraie vie de bohème, 1900-1930 donne une idée plus précise de son sujet. Son auteur, Jacques Lambert, est un ancien journaliste, amateur d'art et collectionneur, biographe de Gen Paul et de Kisling. Alors encore un ouvrage sur ce sujet, me direz-vous ? Certes, mais qui a le mérite de le traiter de manière très fouillée et réaliste, sinon exhaustive. Le livre est bourré de détails, de chiffres, de dates, d'adresses, etc..., parfois d'intérêt relatif, souvent très utiles. D'où il ressort la réalité de la fameuse vie de bohème qui auréole cette période si riche et qui, quelle que soit la nostalgie qu'elle ait pu susciter a posteriori, s'éloigne sensiblement de ce qui a parfois (souvent) été écrit sur le sujet : on est loin d'Aznavour.

On y retrouve tous les protagonistes, artistes et écrivains, du moins ceux dont la postérité a retenu le nom, ou le pseudonyme. Leurs espoirs, leurs errances, leurs succès ; leurs amours, leurs égoïsmes, leurs générosités. Loin des clichés habituels, l'ouvrage est dense, érudit, bien écrit, instructif, et pourtant fort agréable à lire. Il est paru voilà dix ans, avant une édition revue et corrigée en 2019. Il n'a donc pas la chaleur d'un essai qui vient de sortir du four mais il gagne à être connu, et surtout lu.

vendredi 17 mai 2024

Plumes olympiques

 Vous n'ignoriez pas que lorsque le baron Pierre de Coubertin initia les Jeux Olympiques modernes, il avait en tête l'objectif d'un corps sain dans un esprit sain, et le souci, très en vogue à l'époque, de revivifier par l'hygiène sportive un pays (déjà) décadent. Mais peut-être ne saviez-vous pas que figuraient aussi dans ces JO nouvelle formule des épreuves d'architecture, de peinture, de sculpture, de musique et de littérature ? Certes aucun des vainqueurs n'a laissé de grand nom passé à la postérité, mais on notera qu'en 1924 le Jury de ces épreuves artistico-littéraires n'était pas dépourvu de prestige : Barrès, Valéry, Claudel, Maeterlinck, Anna de Noailles, d'Annunzio, et d'autres, le tout présidé par le fougueux Jean Richepin qui s'était bien assagi... Bref, on l'aura compris, parallèlement aux jeux du stade se déroulaient des joutes plus culturelles.

On peut retrouver tout cela dans le livre de Louis Chevaillier Les Jeux olympiques de la littérature (Grasset). En attendant de le lire, on retiendra que voilà un siècle on n'aurait pas imaginé un projet ambitieux sans y intégrer une dimension intellectuelle ou culturelle. Alors qu'aujourd'hui il ne viendrait à l'idée de personne de renouveler la chose.

Pour autant, même de nos jours, la culture n'est pas complètement absente : avant même que ne débutent les JO de Paris, nous avons déjà eu droit au rappeur Jul et bien sûr à Aya Nakamura, et le meilleur est sans doute à venir.

mardi 14 mai 2024

Henri Gougaud, le dernier conte.

 C'est à l'aube de ses 88 ans qu'il s'est envolé vers les grands espaces où vivaient déjà ses contes. J'avais commenté ici-même deux de ses ouvrages : La Confrérie des Innocents (2021) et J'ai pas fini mon rêve (2020), où il retraçait sa vie, lui qui fut chanteur, parolier, homme radio, écrivain et conteur, et dont les textes qu'il offrit à Jean Ferrat, Juliette Gréco ou Serge Reggiani donnent une idée du talent.
L'enfant de Villemoustaussou laissera une oeuvre pétrie d'Histoire et d'histoires, de philosophie et de mysticisme, et une pensée qui est parfois complexe à saisir, mais l'homme qui était derrière était lumineux, en fils du peuple qui s'ouvrit de grands horizons sans oublier d'où il venait. Il était le chantre de l'épopée cathare, de la langue d'Oc et de l'esprit du sud, mais sa culture n'avait de frontière ni géographique ni thématique.

C'est sur le site Actualitté que j'ai appris sa mort, c'était le 6 mai. Hormis un papier dans l'édition de l'Aude de La Dépêche et de l'Indépendant, je n'ai rien vu ni  entendu qui parle de lui ;  la grande presse nationale l'a oublié. Ainsi va la vie. Peu importe, peut-être : "Perdu d'avance est l'homme qui ne suit pas ses rêves", écrivait-il. Sans doute est-il  encore à poursuivre les siens...

vendredi 10 mai 2024

De Pivot à Apostrofes...

 Pivot, bien sûr, dont on ne pouvait passer le trépas sous silence. Maintenant que les thuriféraires se sont tus, on n'ajoutera pas d'éloge supplémentaire, fut-il mérité, car tout a été dit. Bernard Pivot était un personnage français, donc populaire : les Verts, le Beaujolais, la dictée montraient une star restée simple ; les livres en faisaient un intello. Deux images que la France aime bien. Etait-il un critique débonnaire, ou un présentateur de télé cultivé ? sans doute les deux. Il ne bouscula pas grand-chose de l'ordre établi, mais intéressa 4 millions de téléspectateurs à la production littéraire. Et puis il y eut Soljenitsine, Nabokov, Bukovski... 

Certes c'était, du moins à ses débuts, l'époque des Chancel, Decaux et quelques autres. Pourtant, c'est depuis la fin d'Apostrophes qu'on le regrette, quand les audiences cumulées de ses "successeurs" (on peine à écrire ce mot) culminent à une audience dix fois moindre. Et parce que nous en sommes rendus à l'Apostrofes du sketch des Inconnus, que l'on retrouvera avec plaisir sur la toile... Mais comme il devient de plus en plus mal vu de dire que c'était mieux avant, nous allons en rester là.

mardi 23 avril 2024

Lectures : La Rue, de Francis Carco

 Même si j'ai lu à plusieurs reprises son ouvrage Jésus-la-Caille, je ne connais pas trop Francis Carco : je sais que nous avons usé nos fonds de culotte dans le même collège, mais sans doute avait-on changé les chaises entre-temps. Plus sérieusement, c'est avec plaisir que j'ai entamé la lecture de La Rue, publié en 1930.

Mes impressions, une fois le livre refermé ? Un peu mitigées, je l'avoue... Une romance un peu simpliste, pourquoi pas si la simplicité engendre cette "épure" qui participe souvent des grandes oeuvres. Mais j'y vois comme une inspiration essoufflée et un peu poussive. En 1930, Carco est un auteur reconnu, riche et expérimenté, il maitrise suffisamment son art pour donner de l'allant à sa plume. Or, dans La Rue, il donne le sentiment d'écrire parfois au forceps.

Reste malgré tout l'univers de l'auteur, ces bas-fonds de Montmartre du début de siècle (le XXème, faut-il le préciser) où grouillent prostituées, macs et petites frappes de toute nature, foule miteuse et sauvage animée de noblesse comme de bassesse mais irrémédiablement ancrée dans la misère humaine. Et c'est ce qui réhabilite ce livre : pourrait-on encore l'écrire de nos jours? De toute évidence la réponse est non ; les moeurs de ce monde interlope et de cette époque montmartroise étaient loin d'être politiquement correctes, et les relater aujourd'hui ne résisterait pas longtemps aux interdits des groupes féministes et autres minorités.

Alors, même si son oeuvre a pu être inégale, gardons et apprécions Francis Carco, car son oeuvre restitue le regard qu'il a posé sur ce moment de l'aventure humaine.

mardi 16 avril 2024

Dati, littérature et fils de pub...

 Voilà quelques jours, une métorite s'est abattue sur le landerneau de l'édition, et donc des auteurs ; Rachida Dati, dans un réflexe sarkosyste aussi imprévu que brutal a annoncé la possible autorisation de la publicité pour le livre à la télévision. Pourquoi cette décision (à confirmer...) que personne n'avait demandé ? Nul ne sait, même pas Macron qui fait la gueule ; renflouer les caisses de l'audiovisuel public, qui lorgnerait dessus ? 

En attendant, les éditeurs sont unaninement (pour l'heure) vent debout, et posent les enjeux du débat. Claude Gallimard et Denis Olivennes (Editis) y voient, fort logiquement, une accélération de la concentration sur les plus gros vendeurs et une atteinte à la diversité. Faire de la pub à la télévision suppose de solides budgets, qu'on ne pourra investir que sur quelques titres, au détriment de la promotion des autres.

Investir sur les best-sellers identifiés (Musso, Lévy, Grimaldi...) dopera-t-il encore plus des ventes déjà conséquentes ? A voir. Quant à faire de cette publicité vers le grand public une incitation à la lecture, c'est oublier qu'il s'agit de la mise en avant d'un produit à la mode du moment (généralement pas les plus qualitatifs, comme on dit de nos jours), et non de la littérature et de la lecture : l'achat se cantonnera à ce produit de tête de gondole sans inciter à des achats supplémentaires en librairie.

Ainsi verra-t-on s'agrandir le fossé entre stars et besogneux, au sein des grandes maisons d'édition,  et entre gros éditeurs et éditeurs indépendants. Modernisation, libéralisme, marché... la culture n'y échappe évidemment pas,  et notamment le marché du livre. Reste que, systématiquement et dans tous les domaines, c'est la médiocrité qui s'avère la plus rentable, et donc la plus promue. Le projet de Rachida Dati s'inscrit furieusement dans la culture sarkosyste, ses Roujon, ses Macquart et ses Roland Barthès.

jeudi 4 avril 2024

Quand la culture va...

 Peut-être ne faites-vous pas vos courses quotidiennes à la FNAC des Champs-Elysées. Peut-être même, comme moi, n'y avez-vous jamais mis les pieds. Peut-être encore vous moquez-vous de la FNAC, des ses profits et de ses déboires. Toujours est-il que, si après 25 ans d'existence, ce magasin vous est inconnu il est probable qu'il le restera longtemps puisqu'il va disparaitre, pour cause de chiffre d'affaires en baisse et surtout de loyer en hausse.

C'est donc une nouvelle enseigne culturelle parisienne qui ferme boutique. Une de plus, me direz-vous ; après tout, neuf cinémas y ont disparu en trente ans. Le constat, c'est que le cossu quartier des Champs-Elysées est désormais voué au commerce de luxe, à destination d'une clientèle internationale. On peut considérer que cela n'a rien d'illogique. Pourtant, dans les autres quartiers ainsi qu'en province, c'est aux marques de fringues et de chaussures, marques même pas de luxe, que les activités culturelles ont cédé le pas. Et c'est le cas pour bien d'autres activités ; j'ai narré ici même voilà quelques années comment une pharmacie, loyer oblige, avait baissé le rideau, remplacée par une enseigne de parfumerie grand public...

Sic transit gloria mundi, encore une fois ; après tout, en Haïtï, c'est la Bibliothèque nationale qui vient d'être pillée par les gangs. Chaque époque a les priorités qu'elle mérite.

lundi 18 mars 2024

Lectures : Bande de génies, de R. McAlmon

 Robert Mc Almon (1885-1956) fut un auteur que beaucoup disent surdoué, mais qui finit oublié et miséreux en Californie. Il fut aussi éditeur, et notamment le premier d'Hemingway. Il fut surtout, en France et pendant les années folles de la décennie 1920, le prince de la "lost generation" qui anima le quartier Montparnasse, chantre de la fête, des bars, de l'alcool et d'un monde interlope. Il a écrit (en 1938) ses "mémoires" de cette épopée parisienne, mémoires que l'éditeur Séguier vient de publier en français sous le titre "Bande de génies".

On sait que le Montparnasse des années 20 fut un moment exceptionnel, tant il a compté de génies au m2, français, américains, japonais, italiens, irlandais, russes..., peintres, écrivains, poètes ou musiciens. Mc Almon évoque dans son livre surtout les écrivains. On y retrouve des grands noms (Hemingway, Pound,Joyce, Dos Passos...) et quelques français (Desnos, Cocteau...). Y sont également évoqués de nombreux auteurs anglais ou américains qui nous sont aujourd'hui inconnus ; c'est ce qui rend certains passages un peu touffus, voire confus et longuets, d'autant que la trame du récit semble parfois un peu décousue...

Cela étant, Mc Almon était un excellent critique et ses analyses sont d'une haute volée. C'est aussi un fabuleux portraitiste, à la fois affectueux, féroce et sincère, qui donne des images "d'époque" et souvent différentes de celles que l'Histoire a fabriqué.

Le tout offre une plongée dans un univers magique, brillant, sympathique ou non, qui exorcisait le souvenir de la grande boucherie de 14-18. Moment intense de création et de révolution qui a bouleversé tout le XXème siècle et au delà.

mardi 12 mars 2024

Littérature et danger (relatif) de la création...

 Voilà déjà bien longtemps qu'on planche sur la création, ses ressorts, ses élans, ses blocages, ses pourquoi et ses comment. Et donc sur les turpitudes du "créateur". Ainsi ne peut-on plus lire ou entendre un article, une interview, un programme émanant d'un créateur en charge de promouvoir une nouveauté sans que celui-ci (ou celle-là, encore plus) ne proclame "s'être mis en danger" pour accoucher de sa dernière oeuvre (rarement impérissable) ou plutôt de son dernier produit.

Parler de son nombril est chose nécessaire dans le marketing contemporain. Avec si possible de l'intime et de l'impudeur : la peur d'échouer, de changer de créneau, bien sûr, mais surtout les agressions subies, les viols de toute nature, les névroses récurrentes sont autant de paroles verbales destinées à vendre les niaiseries à la mode, où il convient aussi de "sortir de sa zone de confort"... Angot et Despentes maitrisent bien la chose. Je ne sais plus de qui, voilà quelques jours, je lisais ce type d'aventures mais cela a fini par m'agacer sérieusement.

Comprenons-nous bien : je sais ce qu'il en est des mécanismes et des névroses de la création, ne serait-ce que pour y avoir, professionnellement ,travaillé dessus pendant plus de trente ans, depuis l'expression jusqu'à l'hystérie de conversion. Et je ne ris pas du danger (psychique ou social) qui peut peser sur l'artiste. Et c'est peut-être pour cela qu'en faire un élément de marketing me répugne particulièrement.

Et je dois ajouter que, dans le même temps, je relisais Le Feu de Barbusse, livre de référence sur la première guerre mondiale, et récit de l'horreur que l'Histoire peut infliger à des hommes. Avec, dans ce livre, beaucoup de sang et pas mal de boue, de misère et de merde, et pourtant toute la pudeur du monde dans l'écriture de Barbusse.

Pudeur, un sentiment dont il serait bon que notre univers si promotionnel retrouve le sens...

mardi 5 mars 2024

Variations orthographiques à Carcassonne

 Errare humanum est, parfois, perseverare diabolicum, toujours. On sait qu'en notre époque moderne, les progrès de la langue française et de l'orthographe étants ce qu'ils sont, passer de l'oral à l'écrit est pour beaucoup un parcours complexe et aléatoire. Mais il  semble que sur les vieilles terres cathares de la préfecture de l'Aude ce soit une véritable malédiction qui sévisse, si l'on en croit le Canard enchainé de la semaine dernière.

Ainsi, en 2012, la Cité rendait-elle hommage au compositeur Jacques Offenbach. Qui s'est retrouvé rebaptisé "Offenback" sur la plaque émaillée à lui consacrée. L'anglicisme est partout. En 2023, on inaugure une autre plaque "Rue des Pyrénnées" : abondance de bien ne saurait nuire. Et en cet an de grâce 2024, c'est la plaque du physicien "Pierre Curry" qui vient épicer l'actualité audoise.

Cette persévérance interpelle. On trouve des incultes partout. Pourtant, sans ironiser sur les compétences ou la motivation des employés municipaux, il devrait bien se trouver, entre les diverses collectivités territoriales et le fabricant, assez de strates administratives pour corriger les bévues. Mais non, semble-t-il...

Bref, toute langue évolue, nous diront les linguistes atterrés.

mardi 27 février 2024

Et c'est ainsi que Musso est grand...

 Longtemps les écoles ont été nombreuses à porter le nom de grands écrivains (ou de grands artistes), témoignant ainsi d'une grandeur collective qui s'enracinait dans des oeuvres de haute volée, que le peuple s'appropriait et que les chères têtes blondes perpétuaient... Dans les villes, dans les bourgs, dans les villages même, on célébrait ainsi un passé flamboyant et intelligent. Certes il y eut au mitan du XXème siècle la vague des noms de résistants, puis celle des comédiens, des chanteurs, ou des éphémères gloires locales, qui illustrait davantage les avatars de la société du spectacle que d'une culture triomphante, mais les écoles et la littérature tenaient haut le flambeau.

Bref, mutatis mutandis, nous en sommes au point où une école d'Antibes (06) porte désormais le nom de Guillaume Musso. Oui je sais, dit comme ça, ça fait rire... Et pourtant c'est une information très sérieuse du site Actualitté, site de l'actualité du monde du livre. Et cet organe, généralement peu avare de leçons d'insoumission, corrobore le choix de la municipalité azuréenne de donner le nom de cet enfant du pays, en énumérant les chiffres des ventes de cet habitué des têtes de gondole.

Dormez tranquilles, Hugo, Zola, Molière, Camus, Maupassant... mais n'oubliez pas la promo, sous peine de débaptisation fatale. Quant à nous, craignons pour bientôt une Université Virginie-Grimaldi ou une Bibliothèque Mélissa da-Costa.

mercredi 21 février 2024

Manouchian, juste Manouchian...

 Bien sûr, il y a Mélinée, son orpheline, qui l'accompagne ce jour au Panthéon. Mais c'est Missak Manouchian qu'on commémore, ce qu'il fût et ce qu'il fit. Un hommage de plus, dira-t-on, de la part d'un pouvoir qui n'en est pas avare, tardif peut-être mais nécessaire car il nous ramène à une époque où l'engagement ne se faisait pas "par le biais du micro", comme persiflait Brassens...

Certes, il y aurait beaucoup à dire ; sur le curieux arc républicain qui honore le résistant communiste ; sur la fabrication du personnage par le PC ; sur les zones d'ombre qui entourent ce PC lors de l'effondrement du réseau de la MOI ; sur l'éternel débat quant à la responsabilité et au coût des représailles ; et tant d'autres choses ; Et d'ailleurs Manouchian lui-même aurait-il souhaité cet hommage individuel ?

Mais reste avant tout la leçon qu'a donné le petit orphelin arménien que rien ne prédisposait à voler au secours d'une France longtemps frappée de léthargie vis-à-vis du nazisme. Il adhèra à une idéologie, comme d'autres adhèreront à des idées différentes. Il fit preuve de courage, d'autres en firent de même. Pourtant sa sincérité explose dans son attachement à la culture et la langue française, sa littérature et sa poésie.

Alors, derrière les grandes ou petites tentatives de récupération, il y a juste Manouchian. C'est déjà beaucoup. Manouchian le juste. Ah si, quand même, n'oublions pas le poème d'Aragon et la chanson de Ferré...

mercredi 14 février 2024

Les bouquinistes restent à quai !

 Le sujet avait été traité l'été dernier sur ce blog, quant on avait annoncé la déportation des bouquinistes parisiens pendant la durée des JO de l'été prochain. La Préfecture de police de Paris et la Mairie avaient décidé de déménager les caisses vertes qui ornent les quais de Seine, la Préfecture de police par souci de sécurité, la Mairie par souci d'on ne sait quoi. De sorte que cette annonce de déplacement temporaire avait suscité une levée de boucliers, depuis les amoureux de ces étals jusqua'aux professionnels inquiets pour leurs revenus et plus encore pour la pérennité de leurs vieilles installations.

S'en est suivi une chicanerie de six mois, de négociations avortées en récupérations politiques de toute nature. Et alors que se dessinait la fatale défaite du pot de terre face au pot de fer, un coup de théâtre a fracassé le silence de ce jour de grâce du 13 février 2024 : Emmanuel Macron lui-même a annulé le déplacement. 

Cette décision du Président apparait bien sûr comme le fait du Prince. Une fois de plus, dira-t-on, car tout semble désormais se trancher à l'Elysée. En attendant, on se réjouira de voir les quais conserver leurs plus belles fleurs, tout en regrettant que les mesures de bon sens ne soient pas prises plus plus tôt et sans recourir au droit divin...

vendredi 9 février 2024

La Maison des Ecrivains et de la Littérature, hélas...

 On sait que ce pays regorge d'organisations visant à promouvoir la littérature. Avec le succès que l'on sait, diront les mauvaises langues, mais c'est un autre débat. Ainsi la Mél (Maison des Ecrivains et de la Littérature) qui depuis sa création en 1986 durant les années fastes jacklangiennes soutient parait-il "logistiquement et économiquement" des manifestations littéraires parisiennes. Elle est devenue une institution, et siège dans le XVIème arrondissement.

Mais voilà près de dix ans que la crise semble permanente, financière et managériale ; en quelques années la dotation publique est passée de plus de 700 000 euros à 500 000 euros aujourd'hui. Trop peu, crie bien sûr la Mél, qui parle même vis-à-vis du Ministère de la Culture de "forfaiture" : le ridicule ne tue plus depuis longtemps. Si la Mél évite régulièrement la banqueroute elle n'a guère infléchi sa gestion, particulièrement opaque, peut-être pas malhonnête mais pour le moins "déconnectée", en tout cas difficile d'accès même pour des vice-présidents... Mais bien sûr, argue la structure, "la Mél est menacée parce que la littérature est menacée". CQFD. Le Conseil d'Administration, quant à lui, enregistre démission après démission, avant d'avoir peut-être des comptes à rendre surladite gestion.

Le nombre des adhérents à cette Asso, car c'est une simple association, culmine à 240, tout aussi célèbres que les pétitionnaires contre Tesson. Il n'en demeure pas moins une dizaine de salariés, à l'efficacité incertaine. Normal, "la souffrance des équipes" illustre "un système totalitaire" et les "abus de pouvoir" imputés à la direction.

On l'aura compris, la pétaudière est joyeuse. Et coûteuse en deniers publics. Et probablement pas la seule à dilapider ceux-ci au profit de quelques uns, à en croire les gens bien informés. Mais d'autant plus irritante que pendant ce temps-là, loin des lumières, de nombreux bénévoles font beaucoup mieux avec beaucoup moins.

lundi 29 janvier 2024

Tesson, la poésie, la frénésie...

 Il fallait bien que je donne un avis sur cette triste affaire du Printemps des poètes. Triste ? voire. Ou marrante, pathétique, dérisoire, nulle... comme vous voudrez.

Rappelons les faits, comme on dit : voilà quelques semaines, une pétition parue dans Libé, qu'on a connu mieux inspiré, réclame le rejet de Sylvain Tesson de la présidence du Printemps des poètes, au titre qu'il ne serait pas un poète mais bien "une icône de l'extrême-droite", qu'il banaliserait. Une contre-offensive viendra, de la droite et de quelques ministres pour voler au secours de l'écrivain ostracisé, argant que les 1200 signataires de la pétition, poètes de leur état, étaient à une ou deux exceptions près d'illustres inconnus, forcément animés par l'aigreur, la rancoeur et la jalousie.

Le temps faisant comme souvent son oeuvre, il apparait ces jours-ci que la cabale visait aussi Sophie Nauleau, la directrice artistique du Printemps, qui vient d'ailleurs de démissionner. Bref, le sujet de société était surtout un règlement de comptes germanopratin. Nous verrons bien de quoi l'avenir sera fait et ce que l'Histoire en retiendra.

Il n'empêche : cette histoire en dit long sur notre époque. Non pas que les polémiques soient nouvelles : la mobilisation de l'extrême-gauche contre des personnalités de droite n'est pas nouvelle, pas plus que l'inverse ; la droite n'a pas vraiment applaudi le Nobel d'Annie Ernaux... Qui se souvient des années 70 trouvera même nos tempêtes dans un verre d'eau bien médiocres et fort plates. Mais une fois encore, l'inculture historico-politique de notre temps s'étale douloureusement dans des postures cul par dessus tête. On est habitué -et c'est là le danger- à ce qu'une droite, extrême si l'on veut, se fasse le chantre de la liberté et de la démocratie, alors qu'elle incarne de tout temps le parti de l'Ordre, souvent musclé ; et symétriquement je trouve désolant -et le mot est faible- les réflexes staliniens digne des procès de Moscou, que sont capables d'afficher des gens qui parlent au nom de la culture et de la liberté. Là, comme dans d'autres domaines, ceux qui invoquent volontiers un idéal libertaire appellent à l'exclusion, à la Loi, à la Police, à la Justice, au pilori...

"Poètes, vos papiers !" chantait Léo Ferré. Un demi-siècle plus tard, ce sont précisément des poètes qui appellent à la censure. Il est temps de se retirer sous notre tente.

vendredi 19 janvier 2024

Le français, de Villers-Cotterêts à Séjourné...

 Il se trouve encore quelques linguistes atterrants pour proclamer que la langue française ne s'est jamais aussi bien portée. Et ça tombe bien : le Président Macron, voilà quelques semaines, encensait son projet, la Cité internationale de la Langue Française à Villers-Cotterêts.

Seulement voilà, même si son discours n'était pas inintéressant il a évidemment été analysé par des spécialistes de cette langue française (lire à ce sujet le Matricule des Anges). Et il s'avère désolant, incorrect et lourdingue, à force de pronoms multipliés ou inutiles, de conjonctions décomplexées, de syntaxes libérées et d'infinitifs inappropriés. De deux choses l'une : ou bien l'inclination naturelle du chef de l'Etat va inexorablement vers la start-up nation ou Choose France, ou bien les plumes actuelles de l'Elysée sont à la hauteur de l'époque. Mais dans les deux cas le ridicule menace.

Pour arrranger cela, voilà quelques jours, c'est le nouveau ministre de l'Europe Stéphane Séjourné, en voyage officiel à, Kiev, qui se prend les pieds avec un sabir de banlieue francophone : "La défense des droits internationals", "c'est pas moi qui décidera", l'occasion de voir ce qu'ont besoin les ukrainiens", "sur le point de vue", etc... Là aussi, de deux choses l'une : ou bien il avait forcé sur la vodka, ou bien une fois de plus le personnel politique contemporain est à la hauteur de l'époque...

Heureusement, nous avons Rachida Dati à la Culture.

mardi 16 janvier 2024

Dati à la culture, sic transit gloria mundi...

 Finalement l'année 2024 pourrait être rigolote : qui aurait pu prévoir que, le 11 janvier de cet An de grâce, Rachida Dati allait se retrouver ministre de la Culture ? Mais voilà, Il a osé... On ne glosera pas ici sur les pataugeages politiques, l'absence de majorité ou un cynisme de plus en plus désagréables et dévastateurs. Mais quand même... On évoque ici ou là un coup de billard (hasardeux) pour récupérer la mairie de Paris : ce monde est-il sérieux ? Car il fallait quand même oser.

Nous voilà donc ramenés au tout début de ce blog, près de quinze ans en arrière, en plein sarkosysme triomphant. Son égérie de l'époque (en dépit d'une réussite des plus relatives et d'une réputation de plus en plus sulfureuse) arrive aujourd'hui rue de Valois, avec une batterie de casseroles qui ne devraient pas lui faciliter la vie. Alors ministre, pourquoi pas au point où nous en sommes parvenus, mais à la Culture ? Certes il y eut Bachelot, mais celle-ci savait au moins parler opéra. Qu'est-ce qui rapproche Rachida Dati de la Culture ? Et où son style martial est-il à même de provoquer le plus de dégâts ?

Alors bien sûr elle voit dans toutes les objections qui lui tombent déjà dessus "un mépris de classe", forcément, qui l'incite à oeuvrer pour "l'accession à la culture des plus défavorisés", cette éternelle et facile tarte à la crème faisandée. Dès le départ on vole haut.

Quoi qu'il en soit, horresco referens, voilà Rachida Dati ministre de la Culture. Sic transit etc...

mercredi 3 janvier 2024

Bonne Année 2024 !

  Qu'est-il possible de se souhaiter, qui soit sincère, original et sensé, en ce nouvel an ?...

Certes, bien sûr, des voeux de santé, de sérénité, voire de prospérité si l'on est optimiste, et tout cela, convenons-en, n'est pas rien.

Alors modestement, je souhaiterai en plus qu'un peu de culture revienne habiller les sommets de l'Etat et avec elle le sens de l'Histoire et de l'humanité souffrante...

En attendant, bonne Année à tous !